Cautionnement et proportionnalité : la Cour de cassation privilégie l’analyse du patrimoine net et l’objectivation des revenus

Cass Com, 9 juillet 2025, pourvoi n° 23-24.019. La Cour rappelle la méthode d’appréciation de la proportionnalité du cautionnement, refuse d’intégrer les indemnités kilométriques comme revenus et valide la prise en compte du patrimoine net de la caution. S’inscrivant dans la droite ligne de la doctrine et de la jurisprudence antérieures, la décision limite l’obligation de vigilance du créancier à la détection des anomalies apparentes dans la déclaration de la caution.

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Cass Com, 9 juilet 2025, pourvoi_n°23-24.019

Introduction – Faits et problématique

L’arrêt du 9 juillet 2025 tranche la validité d’un cautionnement souscrit par un particulier au profit du cessionnaire d’une créance bancaire, la société MCS & associés.

Le débat portait sur la proportionnalité de l’engagement de caution au regard de l’article L. 332-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure.

La caution soutenait que son engagement était manifestement disproportionné, contestant notamment la prise en compte des indemnités kilométriques, la valorisation des revenus du conjoint séparé de biens, la méthode d’évaluation du patrimoine et l’étendue de l’obligation de vigilance du créancier professionnel face à la fiche de renseignements.


La Cour de cassation rejette le pourvoi, jugeant que la proportionnalité était assurée par le patrimoine net de la caution, indépendamment de la prise en compte des indemnités kilométriques.

1. Principes applicables et construction jurisprudentielle

a) Appréciation de la proportionnalité : biens, revenus et endettement global

La proportionnalité de l’engagement de la caution personne physique envers un créancier professionnel, selon l’article L. 332-1 du code de la consommation (anciennement L. 341-4), s’apprécie « au regard de ses biens et revenus » lors de la conclusion du contrat, et, en cas de disproportion manifeste, au jour où la caution est appelée, à moins que son patrimoine ne lui permette alors de faire face à son obligation (« Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ( C. consom. art. L 332-1 ; ex-art. L 341-4). »).

La jurisprudence constante exige une appréciation objective de la disproportion manifeste, prenant en compte l’endettement global du garant (« si la disproportion doit être appréciée en prenant en considération l'endettement global de la caution, y compris celui résultant d'autres engagements de caution »).

La charge de la preuve de la disproportion pèse sur la caution, tandis que le créancier doit, le cas échéant, démontrer la capacité de la caution à faire face à son obligation au moment où il l’appelle (« La charge de prouver la disproportion manifeste du cautionnement à la date de sa conclusion pèse sur la caution [...], mais celle de démontrer que le patrimoine de la caution lui permet de faire face à son obligation au moment où elle est appelée pèse sur le créancier »).

b) Prise en compte des éléments patrimoniaux

La Cour de cassation a précisé que la proportionnalité doit être appréciée en tenant compte de la valeur nette du patrimoine, y compris les parts sociales et le compte courant d’associé, mais en imputant le passif social afférent (« la disproportion de l’engagement de la caution, personne physique, telle que prévue par l’article précité, doit être appréciée en prenant en compte de la valeur nette de son patrimoine »).

Le régime matrimonial influe sur la base d’appréciation :

  • Pour une caution séparée de biens, seuls ses biens propres et sa quote-part indivise sont pris en compte (« d’intégrer dans le calcul de l’actif pour chacun d’eux “ses revenus et patrimoine personnel”, lequel patrimoine comprend, ici comme ailleurs, “sa quote-part dans les biens indivis” »).
  • Pour les époux communs en biens, la totalité des biens communs, y compris les revenus du conjoint, doit être considérée, indépendamment du consentement exprès du conjoint à l’acte de cautionnement (« Doivent donc être pris en considération tant les biens et les revenus de la caution que les biens communs, incluant les revenus de son conjoint »).

c) Précisions sur la nature des revenus et du patrimoine

La Cour a déjà jugé que les revenus escomptés de l’opération garantie ne doivent pas être pris en compte (« les revenus escomptés de l’opération garantie n’ont pas à être pris en compte »), tout comme certains éléments accessoires (par exemple, indemnités kilométriques), sauf à démontrer leur caractère régulier et constitutif de revenus réels.

2. Obligation de vigilance du créancier et rôle de la fiche de renseignements

Le créancier professionnel est tenu de s’enquérir de la situation patrimoniale de la caution, en recueillant notamment une fiche de renseignements. Toutefois, il n’est pas tenu de vérifier l’exactitude des informations transmises, sauf en présence d’anomalies apparentes (« En l’absence d’anomalies apparentes, le créancier professionnel n’est pas tenu de vérifier les biens et revenus déclarés par la caution au moment où elle s’engage »).

La caution n’est pas admise à prouver ultérieurement que sa situation était moins favorable que celle déclarée, sauf si elle établit qu’une anomalie était apparente pour le créancier (« la caution ne sera pas admise à établir, devant le juge, que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu’elle avait déclarée à la banque (Cass. com. 13-3-2012 n° 11-13.458 F-D) »).

3. Appréciation doctrinale et positionnement jurisprudentiel

La solution ici consacrée s’inscrit dans la continuité des arrêts récents et de la doctrine qui plaident pour une appréciation objective et globale du patrimoine et de l’endettement, tout en maintenant une obligation de vigilance raisonnable pour le créancier (« la jurisprudence constante exige une appréciation objective de la disproportion manifeste »).

La référence à la valeur nette du patrimoine, la neutralisation des revenus accessoires ou non réguliers, et la délimitation du devoir de vigilance à la détection d’anomalies apparentes sont des points d’ancrage doctrinaux, confirmés régulièrement dans la littérature juridique (voir notamment Recueil Dalloz 2022, obs. sous Civ. 1re, 19 janv. 2022, n° 20-20.467, D. 2022. 164 ; RTD civ. 2022. 181, obs. C. Gijsbers ; RJDA 2019, n° 460, Cass. com. 13-2-2019, n° 17-23.186 F-D ; BRDA 13/23, inf. 14).

La distinction entre l’obligation de proportionnalité (défense au fond, non soumise à prescription : « le moyen tiré de l’article L. 341-4 du code de la consommation relatif à la disproportion de l’engagement des cautions personnes physiques constituant, non une exception de procédure, mais une défense au fond échappant de ce fait à la prescription. ») et le devoir de mise en garde du créancier professionnel (dont l’étendue dépend du caractère averti de la caution) demeure clairement établie.

4. Critique et portée de la décision du 9 juillet 2025

L’arrêt de la Cour de cassation du 9 juillet 2025 s’inscrit dans la logique d’une sécurité juridique accrue pour les établissements de crédit et leurs cessionnaires. En refusant d’intégrer les indemnités kilométriques comme revenus à prendre en compte dans la proportionnalité, la Cour privilégie une analyse objective et prudente de la situation financière du garant.

Elle rappelle aussi, de façon opportune, la portée des déclarations faites dans la fiche de renseignements et la limite du devoir de vigilance du créancier, qui ne saurait être transformé en une obligation de vérification systématique, sauf anomalies apparentes.

On peut toutefois s’interroger sur le risque que cette solution fait peser sur certaines cautions dont le patrimoine net serait artificiellement valorisé, ou dont certains revenus accessoires, bien que réguliers, seraient exclus de l’assiette. La doctrine a déjà souligné la nécessité de renforcer l’analyse économique réelle de la capacité contributive de la caution (voir BRDA 13/23, inf. 14 ; RTD civ. 2018. 457, obs. P. Crocq ; D. 2018. 508).

Conclusion – Application au cas d’espèce

La Cour de cassation, chambre commerciale, par son arrêt du 9 juillet 2025, confirme que la proportionnalité du cautionnement, appréciée au regard de l’article L. 332-1 du code de la consommation, doit s’effectuer en tenant compte du patrimoine net de la caution, sans que les indemnités kilométriques, dès lors qu’elles ne constituent pas des revenus réguliers, soient intégrées dans l’assiette. L’obligation de vigilance du créancier demeure circonscrite à la détection d’anomalies apparentes dans la fiche de renseignements. Cette solution, conforme à la jurisprudence antérieure et à la doctrine majoritaire, consolide la prévisibilité du contentieux de la disproportion du cautionnement et évite une insécurité juridique excessive pour les établissements de crédit.
(« la proportionnalité de l’engagement de la caution au regard de ses facultés contributives s’apprécie en deux temps : au jour de la conclusion du contrat de cautionnement et, à supposer qu’une disproportion existe à cette date, au jour de son exécution. La charge de prouver la disproportion manifeste du cautionnement à la date de sa conclusion pèse sur la caution [...] »), (« la disproportion de l’engagement de la caution, personne physique, telle que prévue par l’article précité, doit être appréciée en prenant en compte de la valeur nette de son patrimoine. »), (« En l’absence d’anomalies apparentes, le créancier professionnel n’est pas tenu de vérifier les biens et revenus déclarés par la caution au moment où elle s’engage. »), (« les revenus escomptés de l’opération garantie n’ont pas à être pris en compte. »).

Guillaume Fricker | Avocat

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