Surendettement, vérification des créances. Recevabilité des contestations.
La Cour de cassation renforce le principe de concentration temporelle des contestations en surendettement : l’arrêt du 12 juin 2025 confirme que toute demande hors délai est irrecevable, sécurisant ainsi l’état du passif et imposant au débiteur de formuler en bloc ses contestations sous vingt jours.

Civ. 2e, 12 juin 2025, n° 23-15.025
La décision rendue le 12 juin 2025 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation consacre le principe de concentration temporelle des contestations en matière de surendettement et affirme la primauté du régime spécial de contestation des créances sur les règles de droit commun.
En précisant de manière ferme que, passé le délai de vingt jours prévu à l’article R. 723-8 du code de la consommation, toute nouvelle contestation d’une créance est irrecevable, la Haute Juridiction renforce la stabilité de l’état du passif et sécurise les intérêts des créanciers.
L’analyse qui suit déploie successivement le contexte factuel et procédural, la problématique juridique, l’interprétation opérée par la Cour, les apports et critiques doctrinales, les conséquences pratiques, ainsi que les perspectives d’évolution normative de cette décision.
I. Contexte factuel et procédural
Le litige oppose M. B., débiteur dont le dossier de surendettement a été déclaré recevable, à la banque créancière.
Le 6 janvier 2021, la commission de surendettement notifie à M. B. l’état détaillé de son passif, ouvrant un délai de vingt jours pour contester l’ensemble des créances y figurant. Par lettre datée du 13 janvier 2021, le débiteur soulève la contestation du solde débiteur d’un compte ouvert au nom d’une SCI.
Conformément à l’article L. 723-3 du code de la consommation, la commission saisit le 4 février 2021 le juge des contentieux de la protection pour vérifier cette créance. Lors de l’instance, M. B. fait également valoir la nullité de sa caution solidaire sur un prêt consenti à la même SCI, introduisant ainsi une seconde créance non évoquée dans le délai réglementaire.
La cour d’appel de Tours accueille cette « demande additionnelle » au visa des articles 63 et 65 du code de procédure civile, avant que la Cour de cassation casse partiellement l’arrêt pour violation de l’article R. 723-8.
II. Problématique juridique
Le cas d’espèce soulève une interrogation d'importance : la procédure de surendettement, conçue pour être rapide et concentrée, s’articule-t-elle avec la possibilité, offerte par la procédure civile de droit commun, d’introduire des demandes additionnelles hors du délai de contestation spécial ?
Plus précisément, l’enjeu consiste à déterminer si, une fois le délai de vingt jours expiré et la commission ayant saisi le juge des contentieux de la protection, le débiteur peut en cours d’instance ajouter la vérification d’une créance qu’il n’a pas contestée dans le délai légal.
III. Analyse de la solution de la Cour de cassation
A. Lecture stricte de l’article R. 723-8
La Cour s’appuie sur la formulation explicite de l’article R. 723-8 du code de la consommation : « Le débiteur peut contester l’état du passif dressé par la commission dans un délai de vingt jours, et ne peut plus, à l’expiration de ce délai, formuler une telle demande. »
En retenant une lecture littérale de ce texte, la Haute Juridiction exclut toute interprétation extensive susceptible d’autoriser des contestations ultérieures au-delà du délai imparti. Cette lecture assure une application uniforme et sans équivoque du régime spécial.
B. Rejet des demandes additionnelles
En écartant la portée des articles 63 et 65 du code de procédure civile relatifs aux demandes incidentes, la Cour affirme que le mécanisme de la demande additionnelle ne peut servir à contourner le délai de vingt jours.
Une telle extension mettrait en péril l’objectif même de la procédure de surendettement, à savoir la concentration des moyens et la prévisibilité de l’état du passif.
La décision insiste sur le fait que la sécurité juridique des créanciers doit l’emporter sur la souplesse procédurale qu’offrirait la demande incidente.
C. Cohérence avec l’objectif législatif
La position de la Cour répond à la volonté du législateur de protéger tant les créanciers que le débiteur en fixant une échéance prévisible pour toutes les contestations.
En garantissant qu’aucune créance ne puisse être remise en cause après la date limite, cette interprétation renforce la confiance des acteurs dans le processus de traitement du surendettement et prévient les dilations procédurales.
IV. Apports et critiques doctrinales
A. Les apports de la doctrine favorable à la demande additionnelle
Certains auteurs, tels que Chanais, Ferrand, Mayer et Guinchard, soulignent que la procédure civile de droit commun valorise l’économie de l’instance et la souplesse du contradictoire en permettant d’ajouter des créances connexes si un lien objectif les relie à la contestation initiale.
Cette approche tend à rationaliser les débats et à éviter la multiplicité de procédures.
B. La réponse restrictive de la Cour et sa portée normative
La Cour de cassation répond à ces arguments en rappelant que le droit spécial du surendettement déroge nécessairement aux règles générales pour préserver l’efficacité du dispositif législatif. Admettre des demandes additionnelles hors délai aurait pour effet de vider de sa substance la disposition réglementaire et d’accroître l’aléa procédural.
C. Critiques de la rigidité procédurale
La décision peut être critiquée pour son caractère extrêmement rigide. Un débiteur découvrant un élément nouveau après le délai de vingt jours se trouve privé de toute possibilité de le soumettre à vérification, même si la créance est fondée.
Par ailleurs, l’accumulation et la complexité des textes (articles L. 723-2 à R. 723-8) réduisent la lisibilité de la procédure pour les praticiens et les justiciables.
V. Conséquences pratiques
La confirmation de l’irrecevabilité des demandes hors délai impose une anticipation minutieuse des contestations. Le débiteur doit impérativement identifier et exposer l’ensemble des créances à vérifier dès la notification du passif, sans compter que toute omission est sanctionnée d’irrecevabilité. De leur côté, les créanciers trouveront dans cet arrêt un argument renforcé pour faire écarter toute contestation tardive, ce qui leur permet de sécuriser leurs droits. Enfin, les juges des contentieux de la protection devront exercer un contrôle strict du respect du délai de vingt jours et ne pourront accueillir aucune demande incident.
VI. Perspectives d’évolution
Pour tempérer la rigueur du dispositif, deux voies sont envisageables. La première consisterait à instaurer une phase de régularisation exceptionnelle postérieure au délai, limitée à la production de pièces inédites ou motivée par une découverte tardive, sous le contrôle étroit du juge. La seconde impliquerait une simplification normative, par la fusion des articles L. 723-2 à R. 723-8, afin de rendre le cadre procédural plus lisible et homogène pour tous les acteurs.
Conclusion
La deuxième chambre civile réaffirme avec force la primauté du régime spécial de contestation des créances et le principe de concentration temporelle.
En écartant l’application des demandes additionnelles de droit commun, la Cour de cassation protège la stabilité de l’état du passif et clarifie les obligations des débiteurs et créanciers.
Cette décision marque une étape décisive dans l’évolution du droit du surendettement, tout en soulignant la nécessité d’une éventuelle réforme pour concilier efficacité et équité procédurales.
