Publicité au BODACC : l’omission d’une mention essentielle neutralise la forclusion des créanciers

Cass Com, 2 juillet 2025, n°24-11.217. La Cour de cassation, dans son arrêt du 2 juillet 2025, rappelle avec rigueur qu’une publication irrégulière au BODACC – ici, l’absence du nom de l’administrateur judiciaire – prive la procédure collective de ses effets à l’égard des créanciers. Entre sécurité juridique et impératif d’information totale.

Cass Com, 2 juillet 2025, n° 24-11.217.

Introduction : rappel des faits et du problème de droit

L’arrêt du 2 juillet 2025 de la chambre commerciale de la Cour de cassation (pourvoi n° 24-11.217) s’inscrit dans le cadre des procédures collectives et concerne la portée de l’avis de publication au BODACC du jugement d’ouverture d’une procédure collective.

Plus précisément, la question portait sur l’omission dans l’avis publié de la mention de l’administrateur judiciaire, et sur les conséquences de cette omission quant à l’effet de la publication à l’égard des tiers et au déclenchement du délai de déclaration des créances.

L’URSSAF, créancier public, contestait la régularité de la publication et sollicitait un relevé de forclusion, soutenant que le délai de déclaration n’avait pas commencé à courir en raison de cette irrégularité.

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, considérant que l’omission de la mention de l’administrateur constitue une irrégularité privant l’avis de ses effets, au regard de l’article R. 621-8 du code de commerce.

I. Le contexte légal : la publicité du jugement d’ouverture

L’insertion de l’avis du jugement d’ouverture au BODACC est une étape essentielle dans la procédure collective : elle vise à informer les créanciers de l’ouverture de la procédure et à faire courir les délais pour la déclaration de leurs créances.

L’article R. 621-8 du code de commerce, dans son alinéa 5, précise le contenu obligatoire de cet avis, qui doit notamment comporter : le nom du débiteur, le siège de l’entreprise, le numéro d’immatriculation, l’activité exercée, la date du jugement d’ouverture, ainsi que les nom et adresse du mandataire judiciaire et, le cas échéant, de l’administrateur judiciaire ("Cette insertion contient l'indication du nom du débiteur, du siège de l'entreprise, de son numéro d'immatriculation aux registres et répertoires ci-dessus, de l'activité exercée... de la date du jugement d'ouverture. Elle précise également les nom et adresse du mandataire judiciaire, ex-représentant des créanciers et de l'administrateur. Pour plus de détails, voir C. com., art. R. 621-8, al. 5.").

L’omission de l’une de ces mentions peut priver la publication de ses effets à l’égard des tiers, notamment en ce qui concerne le déclenchement du délai de déclaration des créances.

II. Jurisprudence antérieure : la rigueur sur la régularité de la publication

La jurisprudence de la Cour de cassation est constante sur le caractère impératif des mentions requises dans l’avis de publication.

Ainsi, la Cour a jugé que l’insertion au BODACC est d’une importance primordiale pour les créanciers, car elle conditionne le déclenchement du délai de déclaration des créances ("L'insertion au Bodacc prévue par l'article 21 du décret du 27 décembre 1985 est d'une importance primordiale pour les créanciers puisqu'elle a pour objet de permettre l'identification du débiteur à l'égard duquel a été ouverte une procédure collective et qu'elle comporte l'avis aux créanciers de déclarer leurs créances entre les mains du représentant des créanciers. Cette publication peut être annulée lorsqu'elle est affectée d'erreurs portant sur des éléments essentiels d'identification de l'entreprise. Une publication ainsi viciée ne peut faire courir le délai de déclaration des créances").

Dès lors, une erreur ou une omission portant sur un élément essentiel, tel que le nom du débiteur, le numéro RCS ou, en l’espèce, la mention de l’administrateur judiciaire, est de nature à priver la publication de tout effet juridique ("Il en résulte que la publication peut être annulée lorsque des erreurs portent sur des éléments essentiels d'identification de l'entreprise visés à l'article 21, al. 4 du décret du 27 décembre 1985...").

La jurisprudence a admis que même des erreurs apparemment mineures (par exemple, une erreur d’une journée sur la date du jugement) pouvaient constituer une irrégularité privant la publication de ses effets ("une erreur sur la date du jugement d'ouverture, ne serait-ce que d'une journée, est une irrégularité concernant un élément essentiel de la publication...").

De même, l’omission d’une mention obligatoire peut entraîner l’inopposabilité de la publication à l’égard des créanciers, qui ne sont alors pas forclos ("En outre, l'insertion peut être privée d'effets, au profit de tous les créanciers Cass. com., 14 févr. 1995, n o 93-10.151, n o 347 P si elle est atteinte de vices portant sur des éléments essentiels d'identification du débiteur.").

III. Les motivations de la Cour de cassation dans l’arrêt du 2 juillet 2025

En cassant l’arrêt d’appel, la Cour de cassation réaffirme l’obligation de rigueur dans la publicité du jugement d’ouverture et l’exigence d’une information complète des créanciers.

L’omission de la mention de l’administrateur judiciaire, pourtant obligatoire selon l’article R. 621-8 du code de commerce, constitue une irrégularité substantielle, privant la publication de ses effets à l’égard des tiers et empêchant le point de départ du délai de déclaration des créances ("Le nouvel article R. 621-8, alinéa 4 prévoit que soient publiés le nom et l'adresse du mandataire judiciaire et de l'administrateur s'il en a été désigné un avec, dans ce cas, indication des pouvoirs qui lui sont conférés confirmant la modification de 1994.").

Cette position vise à assurer la sécurité juridique des créanciers, qui doivent pouvoir s’appuyer sur la régularité de la publication pour calculer le délai qui leur est imparti.

La Cour s’inscrit donc dans la lignée d’une jurisprudence constante qui protège l’effectivité des droits des créanciers, en sanctionnant toute défaillance de publicité susceptible de leur porter préjudice, sans qu’il soit nécessaire de démontrer concrètement un grief ("La régularité de la publication au Bodacc du jugement d'ouverture du redressement judiciaire doit être appréciée objectivement, sans égard à la qualité du créancier, selon qu'il est plus ou moins averti.").

IV. Arguments en faveur d’une solution inverse

Il aurait été possible de soutenir une solution inverse, en relativisant la portée de l’omission d’une mention dans la publication, dès lors que les autres éléments essentiels d’identification étaient présents et permettaient l’identification du débiteur et la compréhension de la situation.

La doctrine et une partie de la jurisprudence antérieure ont parfois admis que seule l’omission d’éléments absolument essentiels, tels que le nom du débiteur ou son numéro d’immatriculation, pouvait vicier la publication, et non l’absence d’informations relatives à l’administrateur ou à la nature de sa mission, surtout si cette omission n’a pas concrètement induit en erreur les créanciers ("l'erreur commise par le greffe sur le numéro de RCS dans l'avis de publication de la liquidation d'une SCI étant limitée à un seul élément d'identification de la société, la confrontation avec les autres éléments permettait de s'en rendre compte et ne constitue pas une faute grave...").

Par ailleurs, certains arrêts ont jugé négligeables des erreurs telles que la dénomination incorrecte de la société si les autres éléments étaient corrects ("ont été jugées négligeables des erreurs telles que la mention dans la publication du terme « liquidation judiciaire » au lieu de celui de « redressement judiciaire », la date du jugement d'ouverture figurant bien dans l'insertion, ou encore la dénomination incorrecte de la société...dès lors que celle-ci était suivie aussitôt du sigle exact de la société et que le numéro d'inscription au registre du commerce et des sociétés ainsi que l'adresse de la société étaient corrects").

Une telle approche, plus pragmatique, aurait permis d’éviter une remise en cause systématique de la publicité pour des omissions relatives à des éléments pouvant être obtenus par ailleurs, ou dont l’absence n’a pas affecté la possibilité pour les créanciers de déclarer leurs créances dans les délais.

V. Application au cas d’espèce et portée pratique

La solution retenue par la Cour de cassation dans l’arrêt du 2 juillet 2025 s’inscrit dans un souci de sécurité juridique et d’égalité de traitement des créanciers. Elle impose aux greffes et aux professionnels de la procédure collective une vigilance accrue dans la rédaction et la publication de l’avis au BODACC, toute omission pouvant remettre en cause l’efficacité de la procédure et le déclenchement des délais pour les créanciers ("Seule la publication au Bodacc est prise comme référence, quand il y a lieu, pour le calcul des délais, c'est-à-dire la date (ou la dernière des dates) portée en tête du journal.").

Pour les créanciers, cette jurisprudence signifie que toute irrégularité substantielle dans la publication (telle que l’omission du nom de l’administrateur judiciaire) leur permet d’invoquer l’absence de point de départ du délai de déclaration et d’être relevés de la forclusion, le délai n’ayant pas couru. Pour les organes de la procédure, cela implique une responsabilité importante en cas d’erreur, même en l’absence de grief concret, et une possible mise en cause de la responsabilité de l’État en cas de dommage ("L'État engage sa responsabilité pour faute lourde lorsque l'erreur du greffe au Bodacc entraîne des dommages conséquents à une société.").

Conclusion

L’arrêt du 2 juillet 2025 (pourvoi n° 24-11.217, Com.) réaffirme l’importance de la régularité formelle de la publicité du jugement d’ouverture d’une procédure collective, en sanctionnant l’omission de la mention de l’administrateur judiciaire par l’inopposabilité de la publication aux tiers et en empêchant le déclenchement du délai de déclaration des créances. Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante, orientée vers la protection des droits des créanciers et la sécurité juridique, au prix d’une rigueur formelle parfois critiquée pour son manque de pragmatisme. Toutefois, elle assure une égalité d’information et évite que les créanciers soient pris au dépourvu par des délais qui auraient couru sans que l’ensemble des informations requises ait été porté à leur connaissance.

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Guillaume Fricker | Avocat

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