Présomption de siège social : la Cour dépoussière la procédure civile
Quand la Cour de cassation instaure une présomption légale protégeant l’adresse statutaire des sociétés, c’est tout le paysage procédural qui gagne en sécurité et en simplicité. Civ. 2e, 12 juin 2025, n° 22-24.111
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La présomption légale du siège social des sociétés : vers une simplification procédurale bienvenue
Civ. 2e, 12 juin 2025, n° 22-24.111
L'arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 12 juin 2025 mérite toute l'attention du praticien du droit des sociétés et de la procédure civile.
En posant le principe que « pour l'application des articles 54, 901 et 1033 du code de procédure civile, une société, tant qu'elle n'a pas fait choix d'un nouveau siège social, est réputée conserver son siège social au lieu fixé par les statuts et publié au registre du commerce, sous réserve de la preuve de son caractère fictif ou frauduleux »,le quai de l’horloge apporte une clarification d’importance aux questions relatives à la détermination du domicile des personnes morales dans le cadre des actes de procédure.
Cette décision s'inscrit dans une réflexion plus large sur l'équilibre nécessaire entre la sécurité juridique et l'efficacité procédurale, particulièrement sensible en matière de procédure d'appel et de saisine des juridictions de renvoi après cassation.
L'arrêt commenté vient ainsiconsacrer une présomption légale protectrice de la validité des actes deprocédure tout en ménageant les intérêts des parties adverses par une exceptionbien délimitée.
Une présomption légale devalidité de l'adresse statutaire
La solution retenue par la Cour de cassation repose sur l'établissement d'une véritable présomption légale de validité de l'adresse du siège social telle qu'elle figure au registre du commerce et des sociétés. Cette présomption trouve son fondement dans publicité légale qui s'attache aux inscriptions portées au registre, conformément aux dispositions de l'article L. 123-7 du code de commerce qui institue une présomption de qualité de commerçant pour toute personneimmatriculée.
L'originalité de la solutiontient à ce qu'elle étend cette logique présomptive au domaine procéduralstricto sensu.
En effet, jusqu'à présent, les difficultés liées à la détermination du siège social des personnes morales étaient principalement appréhendées sous l'angle de la signification des actes de procédure, conformément aux dispositions de l'article 690 du code de procédure civile. La jurisprudence avait d'ailleurs eu l'occasion de préciser que la signification destinée à une personne morale de droit privé doit être faite au lieu de son établissement, obligation qui s'impose à l'huissier de justice préalablement à toute autre modalité de signification.
L'arrêt du 12 juin 2025 opèrecependant un déplacement significatif en se situant non plus dans le cadre dela réception d'un acte de procédure par une personne morale, mais dans celui del'accomplissement d'un acte par cette dernière. Cette distinction estfondamentale car elle conduit à inverser la charge de la preuve et àprivilégier la sécurité juridique au profit de la société accomplissant l'acteprocédural.
La formulation retenue par laCour revêt par ailleurs une portée générale qui dépasse le seul cadre de ladéclaration de saisine d'une juridiction de renvoi après cassation.
En visant les articles 54, 901 et1033 du code de procédure civile, l'arrêt étend potentiellement sa solution à l'ensemble des actes introductifs d'instance, qu'il s'agisse d'assignations ou de déclarations d'appel.
Cette extension s'explique par le fait que ces textes renvoient tous aux mêmes exigences de forme concernant l'identification des parties.
La temporalité de la présomption et ses implications pratiques
La formule retenue par la Cour de cassation mérite une attention particulière s'agissant de sa dimension temporelle. En précisant que la présomption joue « tant qu'elle n'a pas fait choix d'un nouveau siège social », la Haute juridiction délimite avec précision le champ d'application de sa solution.
Cette précision temporelle révèle que la Cour envisage la question du siège social dans une perspective dynamique, prenant acte des mutations que peut connaître une société au cours de son existence.
Cette approche présente l'avantage de sécuriser les périodes de transition qui peuvent affecter la vie des sociétés. Il n'est en effet pas rare qu'un décalage temporel existe entre le transfert effectif d'un siège social et sa régularisation statutaire et administrative. La solution retenue permet ainsi d'éviter que ces périodes d'incertitude ne compromettent la validité des actes de procédure accomplis parla société concernée.
La référence au « choix » d'un nouveau siège social semble par ailleurs exclure les hypothèses de changement subi ou imposé par des circonstances extérieures. Cette interprétation conforte l'idée que la présomption légale doit être comprise comme un mécanisme protecteur de la sécurité juridique, qui ne saurait être remis en cause par des éléments factuels contingents.
Du point de vue pratique, cette solution présente l'avantage considérable de dispenser les sociétés de justifier systématiquement de la réalité de leur domiciliation lors de l'accomplissement d'actes de procédure. Comme le soulinge Alexandre Victoroff (Dalloz actualité 27 juin 2025), « il eut en effet été pour le moins paradoxal de demander à une société accomplissant un acte de procédure de prouver, en plus de l'inscription de son adresse au registre, la réalité de cette adresse ». Cette considération pragmatique explique largement l'adhésion que peut susciter la solution retenue.
L'exception du caractèrefictif ou frauduleux : un garde-fou nécessaire
La présomption posée par l'arrêt du 12 juin 2025 n'est cependant pas absolue. Elle cède devant la preuve du «caractère fictif ou frauduleux » du siège social inscrit au registre. Cette exception, qui s'inscrit dans la tradition de l'adage « fraus omnia corrumpit», constitue un garde-fou indispensable pour préserver les droits des parties adverses.
La distinction opérée entre le caractère « fictif » et le caractère « frauduleux » du siège social mérite d'être soulignée. Si la fraude suppose nécessairement une intention malicieuse, la notion de fictivité peut recouvrir des situations plus larges, incluant notamment les cas où l'adresse indiquée ne correspond à aucune réalité concrète, indépendamment de toute volonté de nuire. Cette distinction rejoint d'ailleurs les développements jurisprudentiels en matière de droit international privé, où la Cour de cassation a eu l'occasion de préciser les contours de la fictivité du siège social.
L'appréciation du caractèrefictif ou frauduleux doit cependant être distinguée des simples difficultéspratiques rencontrées lors de la signification d'actes de procédure. Commel'illustre parfaitement l'espèce commentée, le fait qu'un huissier de justicene parvienne pas à signifier un acte à l'adresse du siège social ne suffit pas,à lui seul, à caractériser la fictivité de cette adresse. Cette distinction estessentielle car elle évite que des difficultés purement contingentescompromettent la validité d'actes de procédure régulièrement accomplis.
La charge de la preuve ducaractère fictif ou frauduleux incombe logiquement à la partie qui l'invoque.Cette répartition de la charge probatoire s'inscrit dans la logique présomptiveretenue par l'arrêt et contribue à en renforcer l'efficacité pratique. Elleévite par ailleurs les débats probatoires complexes qui auraient pu naîtred'une solution inverse imposant à la société de justifier systématiquement dela réalité de son siège social.
Pour caractériser la fictivitéd'un siège social, les juges recourent traditionnellement à plusieurs critères: la localisation des centres d'intérêts principaux de l'entreprise, l'absencede bureau ou d'infrastructure justifiant l'exercice d'une activité réelle àl'adresse indiquée, ou encore l'exercice effectif de l'activité dans une régionautre que celle mentionnée dans les statuts. La jurisprudence considère qu'une société est fictive lorsqu'elle possède toutes les apparences d'une véritablesociété mais qu'elle n'a aucune existence propre.
Une solution en cohérence avec l'évolution du droit des sociétés
La décision commentée s'inscrit dans une évolution plus large du droit des sociétés caractérisée par une simplification des formalités et une dématérialisation croissante des démarches administratives. Cette évolution, engagée depuis plusieurs années, a notamment conduit à la création du guichet unique des formalités des entreprises et à la généralisation des procédures électroniques.
Dans ce contexte, la solution retenue par la Cour de cassation présente l'avantage de concilier les impératifs de modernisation avec les exigences de sécurité juridique. En privilégiant la publicité légale résultant de l'inscription au registre du commerce et des sociétés, elle valorise les mécanismes de transparence mis en place par le législateur tout en évitant les complications procédurales excessives.
Cette approche trouve par ailleurs un écho particulier en matière de sociétés civiles immobilières, comme en témoigne l'espèce commentée. Ces structures, largement utilisées pour la gestion patrimoniale, sont souvent caractérisées par une certaine souplesse dans leur fonctionnement qui peut conduire à des décalages entre le siège social statutaire et la réalité de leur organisation. La solution retenue permet d'éviter que ces particularités ne compromettent leur capacité à ester en justice de manière efficace.
L'arrêt s'inscrit également dans la continuité de la jurisprudence récente relative à la validité des significations effectuées dans des pépinières d'entreprises. Dans ces décisions, la Cour de cassation avait déjà manifesté sa volonté de privilégier la sécurité juridique en validant les significations effectuées à l'adresse du siège social non contesté, même lorsque celui-ci ne correspondait pas au lieu d'exploitation effective de l'activité. Cette tendance jurisprudentielle confirme l'orientation favorable à la simplification des procédures et à la sécurisation des actes.
La jurisprudence dite « des gares principales », développée dès 1876 par la Cour de cassation, avait déjà témoigné de cette préoccupation d'adaptation du droit aux réalités pratiques.Cette théorie, qui permettait d'assigner une personne morale devant la juridiction territorialement compétente au lieu de sa succursale, évitait aux usagers des compagnies ferroviaires ou des banques de devoir systématiquement saisir le juge parisien. Cette approche pragmatique se retrouve dans l'arrêt du12 juin 2025, qui privilégie l'efficacité procédurale sans sacrifier les garanties fondamentales.
Les implications procédurales de la décision
L'arrêt du 12 juin 2025 produit des effets significatifs sur la pratique procédurale, particulièrement en matière d'appel et de saisine des juridictions de renvoi après cassation. En clarifiant les conditions de validité des mentions relatives au siège social dans les actes de procédure, il contribue à réduire les risques de nullité et les débats incidents qui peuvent en résulter.
Cette clarification est d'autant plus bienvenue que la procédure d'appel a fait l'objet de modifications substantielles au cours des dernières années, notamment par le décret du 29décembre 2023 qui a simplifié certaines formalités. Dans ce contexte de réforme, la solution retenue par la Cour de cassation participe de l'objectif général de fluidification des procédures civiles.
L'impact de la décision se mesure également à l'aune des spécificités de la procédure de saisine des juridictions de renvoi après cassation. Cette procédure, régie par les articles 1032 et 1033du code de procédure civile, impose des contraintes particulières aux parties, notamment en matière de délais et de formalisme. Dans ce cadre rigide, la présomption de validité de l'adresse statutaire constitue un facteur de sécurisation non négligeable.
Il convient par ailleurs de souligner que la solution retenue ne se limite pas aux seules sociétés civiles immobilières mais s'étend, par sa généralité, à l'ensemble des formes sociales. Cette extension est cohérente avec l'objectif de simplification poursuivi et évite les distinctions artificielles entre types de sociétés qui auraient pu compliquer l'application de la règle.
La décision s'inscrit également dans le cadre plus large de la réflexion sur les exigences formelles des actes de procédure. L'article 54 du code de procédure civile, qui énumère les mentions obligatoires de la demande initiale, impose notamment l'indication du siège social des personnes morales à peine de nullité. La présomption établie par l'arrêt du 12 juin 2025 facilite grandement le respect de cette exigence en sécurisant la mention de l'adresse inscrite au registre.
Perspectives et enjeux futurs
L'arrêt du 12 juin 2025 ouvre plusieurs perspectives d'évolution qui méritent d'être soulignées. En premier lieu, il reste à déterminer si la solution retenue sera étendue à d'autres domaines du droit procédural, notamment en matière de signification des actes de procédure. La logique présomptive développée pourrait en effet trouver application dans des hypothèses où une personne morale doit recevoir un acte, et non plus seulement l'accomplir.
Cette extension potentielle soulève cependant des questions délicates en matière de respect du contradictoire et d'effectivité des significations. Si la présomption de validité de l'adresse statutaire se justifie pleinement lorsqu'une sociétéaccomplit un acte de procédure, sa transposition aux cas de réception d'actes pourrait compromettre les droits de la défense si l'adresse inscrite au registre ne correspond plus à la réalité8.
En second lieu, l'arrêt commentéinvite à une réflexion plus large sur l'articulation entre les mécanismes depublicité légale et les exigences procédurales. Le développement destechnologies numériques et la dématérialisation croissante des formalités administrativespourraient conduire à repenser ces articulations dans un sens plus favorable àla simplification et à l'efficacité.
Cette évolution pourraitégalement trouver un prolongement en matière de domiciliation d'entreprises,secteur en pleine expansion qui soulève des questions nouvelles sur la réalitédu siège social. L'encadrement jurisprudentiel de ces pratiques pourraitbénéficier des principes dégagés par l'arrêt du 12 juin 2025, notamments'agissant de la répartition de la charge de la preuve en cas de contestation.
L'arrêt s'inscrit par ailleursdans un contexte d'évolution des modes de constitution et de fonctionnement des sociétés, marqué par la création de nouveaux statuts simplifiés et l'assouplissement des formalités de création. Dans ce contexte, la sécurisation des adresses statutaires pour les besoins procéduraux constitue un enjeu majeur pour la praticabilité du droit des sociétés.
La question de la reconnaissance d'un droit à la vie privée des personnes morales, récemment débattue par la jurisprudence, pourrait également être impactée par cette évolution. Si les personnes morales voient leur siège social sécurisé par une présomption légale, cela pourrait renforcer leur capacité à revendiquer une protection de leur domicile professionnel.
Conclusion
L'arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 12 juin 2025 constitue une contribution remarquable à la sécurisation du droit procédural applicable aux personnes morales. En consacrant une présomption légale de validité de l'adresse du siège social telle qu'elle figure au registre du commerce et des sociétés, cette décision concilie efficacement les impératifs de sécurité juridique et de simplification procédurale.
La solution retenue présente l'avantage de s'appuyer sur des mécanismes de publicité légale éprouvés tout en ménageant une exception protectrice des droits des parties adverses. Elle s'inscrit par ailleurs dans une évolution plus large du droit des affaires caractérisée par la dématérialisation des formalités et la recherche d'une plus grande efficacité des procédures.
Au-delà de son apport technique immédiat, cet arrêt illustre la capacité de la Cour de cassation à adapter les règles procédurales aux évolutions du droit des sociétés et aux besoins de la pratique. Il témoigne également de la nécessité de maintenir un équilibre délicat entre la simplification des formalités et la préservation des droits fondamentaux des justiciables.
Cette décision devrait ainsi trouver une réception favorable auprès des praticiens du droit des sociétés et de la procédure civile, qui y trouveront un outil précieux de sécurisation de leurs actes procéduraux. Elle contribue également à la prévisibilité jurisprudentielle dans un domaine où les évolutions réglementaires fréquentes peuvent créer des incertitudes.
L'arrêt du 12 juin 2025 s'inscritfinalement dans la tradition d'une jurisprudence pragmatique, soucieuse de concilier les exigences théoriques du droit avec les contraintes pratiques de son application. Il constitue à ce titre une référence durable pourl'interprétation des règles relatives au siège social des sociétés en matière procédurale, enrichie par l'apport doctrinal qui souligne sa portée et ses implications pratiques.
