Contrefaçon, concurrence déloyale et preuve : Revirement

PROPRIETE INDUSTRIELLE - Dessins et modèles - Procès-verbal d'huissier de justice - Constat d'achat - Indépendance du tiers acheteur à l'égard du requérant - Garanties suffisantes - Défaut - Force probante du constat - Appréciation souveraine du juge chambre mixte, 12 mai 2025, pourvoi n°22-20.739

Résumé de l’arrêt

Les 1ère et 2ème chambres civiles ainsi que la chambre commerciale se sont réunies en chambre mixte. Autant le dire tout de suite, ça va être sanglant.

Il leur est demandé de se prononcer sur la validité du procès-verbal de constat d’achat dressé par un huissier de justice à la requête d’un titulaire de droits de propriété industrielle, lorsque le tiers acheteur n’est pas indépendant de la partie requérante.

Il lui faut également trancher la question de la caractérisation de la concurrence déloyale en cas de cumul avec une action en contrefaçon.

I. Contexte et faits

  • Parties : La société Rimowa (titulaire de droits sur une valise en polycarbonate rainuré) reproche à la société HP Design, exploitant la marque « Bill Tornade » pour le compte de la société Intersod, la commercialisation de valises contrefaisant son modèle.
  • Procédure : Rimowa fait établir un constat d’achat par huissier, l’achat étant réalisé par un stagiaire du cabinet d’avocats de Rimowa. Elle assigne ensuite pour contrefaçon et concurrence déloyale.
  • Décision de la cour d’appel : Elle valide le constat d’achat et condamne Intersod pour contrefaçon et concurrence déloyale.

II. Problématiques juridiques

  1. Validité du constat d’achat établi par un huissier assisté d’un tiers non indépendant
    La question centrale est de savoir si le défaut d’indépendance du tiers acheteur (ici, un stagiaire du cabinet d’avocats de la partie requérante) entraîne la nullité du procès-verbal de constat d’achat.
  2. Cumul des actions en contrefaçon et en concurrence déloyale
    Peut-on condamner pour concurrence déloyale sur la base des mêmes faits que ceux ayant fondé la contrefaçon, ou faut-il caractériser des faits distincts ?

III. Solution de la Cour de cassation

A. Sur la validité du constat d’achat

  • Évolution jurisprudentielle : La Cour de cassation opère un revirement en assouplissant sa jurisprudence antérieure (notamment 1re Civ., 25 janv. 2017, n°15-25.210), qui imposait l’indépendance du tiers acheteur à peine de nullité du procès-verbal.
  • Nouvelle solution :

« L’absence de garanties suffisantes d’indépendance du tiers acheteur à l’égard du requérant n’est pas de nature à entraîner la nullité du procès-verbal de constat d’un achat établi par un huissier de justice à la requête d’un particulier. Il appartient au juge d’apprécier si, au vu de l’ensemble des éléments, ce défaut d’indépendance affecte la valeur probante du constat. »

  • Motivation :
    • Le rôle du tiers acheteur dans un constat d’achat est limité et non intrusif, contrairement à la saisie-contrefaçon.
    • Le constat d’achat n’implique pas la recherche d’informations confidentielles.
    • Le juge conserve un pouvoir souverain d’appréciation de la force probante du constat, à la lumière de la loyauté de la preuve et de l’absence de stratagème.
    • La solution s’aligne sur la directive 2004/48/CE, qui exige des procédures de preuve efficaces et non inutilement complexes.

B. Sur la concurrence déloyale

  • Principe réaffirmé :

L’action en concurrence déloyale ne peut prospérer que si des faits distincts de ceux caractérisant la contrefaçon sont établis.

  • Cassation partielle :
    • La cour d’appel n’a pas caractérisé de faits distincts au titre de la concurrence déloyale.
    • Cassation de la condamnation pour concurrence déloyale, renvoi devant la cour d’appel de Paris autrement composée.

IV. Portée et apport jurisprudentiel

A. Sur la preuve par constat d’achat

  • Assouplissement notable :
    La Cour de cassation abandonne l’exigence de nullité automatique en cas de défaut d’indépendance du tiers acheteur. Seule la valeur probante du constat peut être affectée, selon l’appréciation souveraine du juge du fond.
  • Sécurité juridique accrue :
    Cette solution limite les nullités de procédure pour vice de forme et recentre le débat sur la loyauté de la preuve et l’absence de stratagème.
  • Conformité européenne :
    Cette évolution s’inscrit dans la volonté d’efficacité des procédures de preuve en matière de propriété intellectuelle.

B. Sur le cumul contrefaçon/concurrence déloyale

  • Rappel de la distinction :
    Le juge doit caractériser des actes distincts portant atteinte à des droits de nature différente pour retenir la concurrence déloyale en plus de la contrefaçon.
  • Sécurité des justiciables :
    Cette exigence évite la double indemnisation pour les mêmes faits et clarifie la portée respective des deux actions.

Conclusion : Gros revirement

Cet arrêt est d'importance puisqu'il s'agit d'un revirement de jurisprudence ((notamment 1re Civ., 25 janv. 2017, n°15-25.210) dans la gestion de la preuve en matière de propriété industrielle, en assouplissant les conditions de validité du constat d’achat et en réaffirmant la nécessité de faits distincts pour condamner cumulativement pour concurrence déloyale et contrefaçon.

Il renforce la sécurité juridique des parties et l’efficacité des procédures, tout en maintenant l’exigence de loyauté dans l’administration de la preuve.

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Guillaume Fricker | Avocat

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