Conclusions et nombre de caractères : Quand la 2ème dit niet au summer body
La Cour de cassation dit non met fin aux injonctions de « pages minceur » pour les conclusions d’appel . Civ2, 3 juillet 2025, n° 22-15.342
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Civ2, 3 juillet 2025, pourvoi n°22-15.342
Abstract :
L’arrêt du 3 juillet 2025, pourvoi n°22-15.342, marque une étape importante dans la protection des droits fondamentaux en procédure civile, en refusant toute limitation arbitraire du nombre de pages des conclusions par le conseiller de la mise en état. S’inscrivant dans l’évolution jurisprudentielle tendant à l’assouplissement du formalisme procédural, cet arrêt réaffirme que la structuration des écritures doit viser la clarté et la lisibilité, sans porter atteinte à l’accès au juge ni aux droits de la défense.
Par cette décision, la Cour de cassation rappelle que seules les exigences formelles prévues par le code de procédure civile s’imposent aux parties, dansle respect des principes conventionnels et constitutionnels. Pour l’avenir, il est souhaitable que la loi précise le rôle du conseiller de la mise en état afin d’éviter les pratiques coutumières contraires à l’équité du procès et de garantir l’effectivité du droit d’accès au juge.
Introduction : Contexte et faits
La cour d’appel de Versailles avait prononcé la radiation d’une instance en appel au motif que l’avocat d’une partie n’avait pas respecté une injonction de synthétiser ses conclusions en 35 pages, sous peine de radiation. Le pourvoi formé contre cette décision contestait la légalité d’unetelle injonction, au regard notamment du droit d’accès au juge et des droits de la défense garantis par l’article 6 de la CEDH et par plusieurs articles du code de procédure civile (notamment les articles 913, 954, 961, 780 CPC). La deuxième chambre civile était ainsi amenée à se prononcer sur la portée des pouvoirs du conseiller de la mise en état dans la structuration des écritures des parties et sur la validité d’une sanction consistant à radier l’affaire pour non-respect d’une injonction relative au volume des conclusions.
Analyse du dispositif de l’arrêt
La Cour de cassation a cassé la décision de la cour d’appel, retenant que le conseiller de la mise en état ne peut pas imposer une limitation du nombre de pages des conclusions, en l’absence de texte le prévoyant, et qu’une telle pratique porte atteinte aux droits de la défense et au droit d’accès au juge, principes à valeur conventionnelle et constitutionnelle ("Le président de la chambre à laquelle l’affaire a été distribuée décide de son orientation soit en fixant une date d’appel de l’affaire à bref délai et la date prévisible de clôture de son instruction, soit en désignant un conseiller de la mise en état. Le greffe en avise les avocats constitués. Cet avis contient une invitation à conclure une convention de procédure participative aux fins de mise en état dans les conditions prévues au titre II du livre V et reproduit les premier et troisième alinéas de l’article915-3.").
La Cour rappelle l’importance du respect de l’équilibre entre efficacité de la procédure et garantie des droits fondamentaux des parties, notamment en matière de structuration des écritures ("les limitations apportées au droit à un tribunal ne doivent pas restreindre l’accès ouvert aux justiciables d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même", "une interprétation par trop formaliste de la légalité ordinaire faite par une juridiction empêche, de fait, l’examen au fond du recours exercé par l’intéressé").
Analyse de la motivation
L’analyse de la motivation développée dans cet arrêt met en lumière l’articulation subtile entre efficacité procédurale et respect des droits fondamentaux des parties.
La Cour rappelle d’abord que le principe directeur du procès civil est celui du respect du contradictoire et du droit d’accès au juge, deux piliers garantis tant par la Convention européenne des droits de l’homme que par le droit interne. En l’espèce, la juridiction du fond avait cru pouvoir, au nom d’une meilleure administration de la justice et de la lisibilité des débats, imposer une contrainte matérielle sur la longueur des conclusions à 35 pages, sous peine de radiation. Or, la Cour de cassation vient rappeler avec force que l’efficacité procédurale ne saurait justifier l’instauration de nouveaux obstacles qui ne sont pas expressément prévus par la loi, sauf à porter une atteinte disproportionnée audroit fondamental à un procès équitable.
Dans son raisonnement, la Haute juridiction souligne que la structuration des écritures, telle qu’exigée par le code de procédure civile, vise à garantir la clarté et la lisibilité des prétentions et des moyens, mais ne saurait en aucun cas être détournée en une contrainte arbitraire ou purement quantitative. Elle réprouve l’ajout de conditions non prévues par les textes, estimant qu’une telle pratique s’apparente à un formalisme excessif susceptible de priver le justiciable de son droit d’accès au juge. Cette position s’inscrit dans le mouvement jurisprudentiel qui, à la lumière de la jurisprudence européenne, condamne le recours à des exigences formalistes qui entravent la substance même du droit à un tribunal.
La motivation de la Cour de cassation montre également une volonté d’assurer une lecture raisonnable et pragmatique des règles procédurales : il ne s’agit pas d’exclure toute exigence de structuration, qui demeure nécessaire pour garantir la cohérence et la compréhension des débats, mais de s’opposer à toute dérive conduisant à un excès de formalisme. Elle rappelle que l’objectif du procès civil est la résolution effective eté quitable du litige, et non l’instauration d’un parcours d’obstacles procédural. Son raisonnement s’appuie enfin sur l’idée que la procédure d’appel doit demeurer une voie permettant d’achever utilement le débat judiciaire, sans surcharger les parties d’exigences ni ajouter d’obstacles qui pourraient, au final, compromettre les droits de la défense.
La motivation de l’arrêt témoigne ainsi d’un équilibre recherché entre la nécessaire discipline des débats judiciaires et la préservation des garanties fondamentales des justiciables. Elle invite les juges du fond à faire preuve de mesure dans l’exercice de leurs pouvoirs et à ne pas substituer leur propre appréciation à celle du législateur, rappelant que seule la loi peut poser des limites à l’exercice des droits procéduraux des parties. Ce faisant, la Cour de cassation participe à l’élaboration d’une procédure civile à la fois rigoureuse et respectueuse des droits fondamentaux, fidèle à la fois à l’esprit et à la lettre du droit processuel contemporain.
Évolution jurisprudentielle sur le pouvoir du conseiller dela mise en état concernant la structuration des écritures
Tendances récentes
- Les réformes récentes du code de procédure civile ont renforcé les pouvoirs du conseiller de la mise en état pour « purger » l’instance avant la formation collégiale, mais n’ont pas introduit de pouvoir de restreindre le volume des écritures ("Le décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009, qui a réformé la procédure avec représentation obligatoire devant la cour d’appel, n’a pas porté atteinte à cette conception. Il a en revanche introduit des forclusions procédurales en imposant une concentration temporelle (délais très brefs pour déposer les conclusions, répondre aux conclusions adverses, délais que le conseiller de la mise en état peut même encore réduire d’office en raison de la nature de l’affaire, C. pr. civ., art. 911-1, al. 1er).").
- La Cour de cassation a, à plusieurs reprises, assoupli l’interprétation des exigences de structuration des écritures, en refusant de sanctionner l’absence de certaines mentions ou structurations formelles dans les conclusions dès lors que les moyens et prétentions sont clairement identifiables ("Elles n’exigent pas que les prétentions et les moyens contenus dans les conclusions d’appel figurent formellement sous un paragraphe intitulé ‘discussion’. Il importe que ces éléments apparaissent de manière claire et lisible dans le corps des conclusions" ), ("la Cour européenne est très attachée à une justice civile rendue dans des délais raisonnables [...] un assouplissement important de la jurisprudence doit être constaté. Ainsi, l’absence de structuration des conclusions n’est pas toujours sanctionnée" ).
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Portée de l’arrêt
L’arrêt du 3 juillet 2025 s’inscrit dans la continuité de ce mouvement à l’encontre du formalisme excessif en matière de structuration des écritures, affirmant que le conseiller de la mise en état ne saurait, sous prétexte d’efficacité, imposer des contraintes qui ne sont ni prévues par la loi ni nécessaires à la bonne administration de la justice.
Solutions selon la chambre saisie : 1ère et 3ème chambres civiles vs 2ème chambre civile
- Deuxième chambre civile (arrêt du 3 juillet 2025) : Refus de tout formalisme excessif et de toute limitation arbitraire du contenu des écritures qui ne serait pas expressément prévue par le code de procédure civile.
- Première et troisième chambres civiles : Traditionnellement, une certaine rigueur a pu être observée à propos de la structuration des écritures, notamment en ce qui concerne la nécessité d’un dispositif dans les conclusions sollicitant l’infirmation ou l’annulation du jugement frappé d’appel, sous peine de caducité ("depuis le décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009, il est exigé que les conclusions soient récapitulées sous forme de dispositif (C. pr. civ., art. 954, al. 2. – Sur la notion de conclusions récapitulatives, V. Civ. 2e, 15 nov. 2018, n° 17-27.844, D. 2018. 2242). Avec le temps s’est imposée une véritable modélisation des écritures, laquelle est certainement facilitée par l’utilisation de la communication électronique.").
Cependant, même ces chambres ont récemment suivi l’évolution jurisprudentielle vers un assouplissement du formalisme, sous l’influence de la jurisprudence européenne qui condamne le formalisme excessif portant atteinte à l’accès au juge ("Cette solution est conforme à la jurisprudence de la CEDH, qui analyserait certainement la solution de la cour d’appel comme révélant un « formalisme excessif » portant atteinte au droit d’accès au juge.").
Critique et portée
Si la nécessité de clarté et de lisibilité des écritures est unanimement reconnue, la pratique de limitation arbitraire du volume ou de la structure dépasse ce qui est requis par les textes. L’arrêt de la deuxième chambre vient rappeler la hiérarchie des normes : seules les exigences prévues par la loi peuvent être imposées, et tout excès de pouvoir du conseiller de la mise en état doit être censuré, sous peine de porter une atteinte disproportionnée aux droits de la défense et au principe du contradictoire("La jurisprudence de la CEDH incite à la prudence, sur ce terrain de l’effectivité du droit d’accès à un juge, car la Cour retient parfois, sous condition, le formalisme procédural comme un obstacle au droit à un tribunal.").
Propositions d’évolutions nécessaires
Pour que la décision de la Cour de cassation du 3 juillet2025 puisse pleinement porter ses effets et éviter la répétition de pratiques sources de confusion et d’insécurité juridique, plusieurs axes d’évolution s’imposent.
Il apparaît d’abord nécessaire que le législateur intervienne afin de clarifier, dans le code de procédure civile, l’étendue exacte des pouvoirs du conseiller de la mise en état. Une telle clarification permettrait de mettre fin aux interprétations divergentes qui subsistent dans les juridictions du fond, notamment quant à la possibilité d’imposer aux parties des contraintes non prévues par les textes sur la longueur ou la forme des écritures. Il conviendrait que la loi consacre explicitement le principe selon lequel toute limitation matérielle du contenu des conclusions doit reposer sur un texte précis, et rappeler que la structuration des écritures vise la lisibilité et la clarté, sans pouvoir être détournée en outil d’exclusion ou de sanction arbitraire.
Parallèlement à cette intervention normative, une réflexion sur la formation continue des magistrats et des avocats s’avère indispensable. Il s’agirait de renforcer la sensibilisation à l’équilibre entre la recherche d’efficacité procédurale et la garantie des droits fondamentaux, afin que les acteurs du procès civil soient mieux armés pour appréhender les exigences procédurales à la lumière de la jurisprudence européenne et de la hiérarchie des normes. Cette évolution culturelle est le préalable à une application uniforme et mesurée du droit processuel sur le territoire national.
En outre, il serait pertinent de promouvoir l’élaboration de modèles-types ou de recommandations rédactionnelles pour la structuration des conclusions, à destination des praticiens. Ces outils, sans caractère obligatoire, pourraient servir de guide pour assurer la clarté et la lisibilité des écritures tout en laissant aux parties la latitude nécessaire pour exposer de manière complète leurs prétentions et moyens. Une telle approche favoriserait l’harmonisation des pratiques sans tomber dans l’écueil du formalisme excessif.
Enfin, il pourrait être envisagé de renforcer les mécanismes de contrôle et de recours contre les décisions du conseiller de la mise en état qui porteraient atteinte au droit d’accès au juge ou au principe du contradictoire. Cette évolution garantirait que le respect des droits fondamentaux demeure la boussole de la procédure civile, même dans un contexte de recherche d’efficacité et de célérité des débats. Par ces différentes voies, la procédure d’appel serait consolidée dans sa fonction de voie d’achèvement du litige, au service d’une justice à la fois moderne et respectueuse des droits fondamentaux.
