Bail commercial et société en formation
La Cour de cassation, dans son arrêt du 28 mai 2025, consacre une approche pragmatique des actes conclus par les sociétés en formation : l'intention des parties prime désormais sur le formalisme, sécurisant les engagements pré immatriculation. Cour de cassation, Chambre commerciale, 28 mai 2025, n° 24-13.370

Sociétés en formation : la consécration d'une approche intentionnelle dans la validité des actes antérieurs à l'immatriculation
Cour de cassation, Chambre commerciale, 28 mai 2025, n° 24-13.370
La Cour de cassation, dans cet arrêt, réaffirme et précise sa jurisprudence récente sur la validité des actes conclus pour le compte d'une société en formation. En cassant un arrêt de la cour d'appel de Paris, elle consolide une méthode d'interprétation téléologique centrée sur l'intention des parties, tout en clarifiant les effets d'une modification de dénomination sociale postérieure à l'immatriculation.
Contexte et enjeux : dépasser le formalisme au nom de la sécurité juridique
L’article L. 210-6 du Code de commerce pose un principe clair : une société acquiert la personnalité morale à compter de son immatriculation. Les actes conclus avant cette date engagent personnellement leurs signataires, sauf reprise expresse par la société une fois immatriculée.
La jurisprudence traditionnelle distinguait rigoureusement les actes passés « par » la société (nuls) de ceux conclus « au nom » ou « pour le compte » de celle-ci (validables). Cette approche formaliste, illustrée par des arrêts des 22 mai 2001 et 21 février 2012, conduisait à des nullités systématiques dès qu’un acte désignait la société elle-même comme partie.
Faits et solution de la Cour : une double avancée pragmatique
En l’espèce, un bail commercial du 20 janvier 2016 désignait comme locataire la « société LPL, SAS en cours de création », représentée par sa future présidente. Après l’immatriculation de la société sous le nom « Les Petits [L] » et l’annexion du bail aux statuts, la cour d’appel de Paris prononça la nullité de l’acte, estimant que la société inexistante au jour de la signature ne pouvait être contractante.
La Cour de cassation casse cette décision sur deux motifs :
- L’obligation de rechercher l’intention réelle des parties : Les juges du fond doivent analyser non seulement les termes de l’acte, mais aussi les circonstances extrinsèques (négociations précontractuelles, comportements postérieurs, annexion aux statuts).
- L’indifférence de la dénomination sociale : Une divergence entre le nom utilisé dans l’acte et celui de la société immatriculée n’affecte pas la validité, sauf dol ou fraude.
Portée de l’arrêt : un alignement sur la jurisprudence récente
Cet arrêt s’inscrit dans le prolongement des trois arrêts du 29 novembre 2023 (n° 22-12.865, 22-18.295, 22-21.623), marquant un revirement. La Cour, dans sa dynamique actuelle, abandonne le formalisme excessif au profit d’une appréciation globale, reconnaissant que :
- La mention « société en formation » dans l’acte, bien qu’imparfaite, ne suffit plus à entraîner la nullité si d’autres éléments attestent l’intention de contracter pour la future société.
- La reprise de l’acte par la société immatriculée (via son annexion aux statuts ou une décision collective) valide rétroactivement l’engagement, sous réserve de bonne foi.
Cette évolution répond à un impératif d’équité et de sécurité juridique : 60 % des startups concluent des contrats avant immatriculation, et les nullités stratégiques menaçaient la stabilité des relations contractuelles.
Implications pratiques : conseils aux rédacteurs d’actes
- Rédaction prudente : Privilégier les mentions explicites (« M. X, agissant au nom de la société Y en formation ») tout en documentant les négociations (échanges écrits, procès-verbaux).
- Clauses statutaires : Annexer systématiquement les actes pré immatriculation aux statuts avec une clause de reprise automatique.
- Vigilance sur la dénomination : Même si la différence de nom n’est plus un obstacle, maintenir une cohérence entre le projet initial et l’immatriculation finale limite les risques contentieux.
Analyse critique : entre pragmatisme et insécurité
Si cet arrêt sécurise les tiers de bonne foi, il complexifie la charge probatoire pour les juges, désormais tenus d’explorer l’ensemble du contexte précontractuel. Par ailleurs, la solution crée une asymétrie : le bailleur devra prouver le dol en cas de changement de dénomination frauduleux, alors que le locataire pourra facilement invoquer une erreur sur la personne morale.
La doctrine salue toutefois une modernisation nécessaire du droit des sociétés, alignée sur les pratiques économiques et la jurisprudence européenne.
Conclusion
L’arrêt du 28 mai 2025 parachève une évolution jurisprudentielle majeure initiée en 2023. En substituant au formalisme stérile une analyse intentionnelle, la Cour de cassation réconcilie sécurité juridique et efficacité économique. Les praticiens devront néanmoins redoubler de rigueur dans la documentation des actes pré immatriculation, tandis que les juges auront à manier avec prudence ce nouveau pouvoir d’appréciation contextuelle.
