Astreinte revisitée : la Cour de cassation fixe le tempo de la prescription et réarme le juge de l’exécution

Unification du point de départ de la prescription de l’astreinte et réaffirmation de l’office – d’ordre public – du juge de l’exécution pour sanctionner la résistance abusive.

Civ2, 22 mai 2025 n°22.22-416

L'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 22 mai 2025 mérite une attention particulière, tant par sa dimension pédagogique que par les clarifications qu'il apporte sur deux questions centrales : le point de départ de la prescription de l'action en liquidation d'astreinte et la compétence du juge de l'exécution en matière de dommages-intérêts pour résistance abusive.

Cette décision s'inscrit dans la continuité d'une jurisprudence désormais bien établie tout en précisant les contours de la compétence juridictionnelle en matière d'exécution.

I. La prescription de l'action en liquidation d'astreinte : un point de départ unique confirmé

A. Le rejet d'une approche fractionnée de la prescription

La première question soumise à la Haute juridiction concernait le point de départ de la prescription quinquennale applicable à l'action en liquidation d'astreinte. Le demandeur au pourvoi soutenait une approche audacieuse : la prescription quinquennale n'aurait « pas un point de départ unique, mais autant de points de départ que de jours compris entre le 26 mars 2013 et le 27 janvier 2016 ».

Cette thèse, inspirée de l'article 2233 du Code civil relatif aux créances à termes successifs, aurait permis une prescription fractionnée, chaque jour de retard faisant naître un nouveau délai quinquennal.

La Cour de cassation rejette fermement cette analyse en réaffirmant un principe fondamental : « lorsqu'une obligation est assortie d'une astreinte fixée par jour de retard, la prescription de l'action en liquidation de cette astreinte ne court pas, de manière distincte, pour chaque jour de retard pendant lequel l'obligation n'a pas été exécutée, mais à compter du jour où l'astreinte a pris effet ».

Cette solution s'appuie sur une distinction conceptuelle essentielle précisée au paragraphe 7 de l'arrêt : « la condamnation, assortie d'une astreinte, prononcée par un juge ne fait pas naître une action en paiement de sommes payables par années ou à des termes périodiques plus courts, mais confère à son bénéficiaire une action en liquidation de cette astreinte, à l'issue de laquelle celui-ci est susceptible de disposer d'une créance de somme d'argent ».

B. La nature juridique de l'astreinte et ses conséquences

Cette position jurisprudentielle, déjà énoncée dans l'arrêt du 1er juillet 2021, procède d'une analyse fine de la nature juridique de l'astreinte. Contrairement aux créances périodiques classiques qui donnent naissance à des échéances distinctes, l'astreinte génère virtuellement une créance unique dont le montant est indexé sur la durée du retard.

Cette conception unitaire de l'astreinte justifie l'application de la prescription quinquennale de droit commun prévue à l'article 2224 du Code civil, comme l'avait déjà précisé l'arrêt de principe du 21 mars 2019.

L'article R. 131-1, alinéa 1er, du Code des procédures civiles d'exécution fournit le critère temporel déterminant : l'astreinte prend effet à la date fixée par le juge, qui ne peut être antérieure au jour où la décision portant obligation est devenue exécutoire.

En l'espèce, cette date correspondait au 26 février 2013, date de la convocation notariale fixée par le juge comme point de départ de l'astreinte. L'action en liquidation introduite le 19 janvier 2021 était donc prescrite, le délai quinquennal ayant expiré le 26 février 2018.

C. Les difficultés pratiques soulevées par cette solution

Si cette jurisprudence présente l'avantage de la simplicité et de la cohérence conceptuelle, elle soulève néanmoins des questions pratiques importantes.

Comme le souligne pertinemment la doctrine, fixer le point de départ de la prescription au jour de la prise d'effet de l'astreinte peut conduire à des situations paradoxales. En effet, à cette date, le bénéficiaire de l'astreinte ne connaît pas nécessairement les faits lui permettant d'exercer utilement l'action en liquidation, puisque l'inexécution n'est pas encore caractérisée.

Cette difficulté est particulièrement manifeste dans l'espèce commentée : la société Paru ne réclamait pas la liquidation pour la période du 26 février au 26 mars 2013, reconnaissant implicitement qu'aucun retard n'était alors constitué. Cette situation illustre la tension entre la logique conceptuelle de l'unité de l'astreinte et les réalités pratiques de son fonctionnement.

Pour pallier ces difficultés, la jurisprudence admet que l'interruption de prescription puisse jouer un rôle correcteur. L'arrêt du 8 décembre 2011 a ainsi précisé que l'autorité de la chose jugée attachée à une première décision de liquidation d'astreinte ne fait pas obstacle à une nouvelle demande pour la période postérieure, dès lors que l'astreinte n'est pas limitée dans le temps. Cette solution suppose toutefois que le créancier ait eu la diligence d'agir dans le délai initial.

II. La compétence du juge de l'exécution : un rappel salutaire du caractère d'ordre public

A. L'erreur de la Cour d'appel sur la compétence matérielle

La seconde branche du pourvoi, qui emporte cassation partielle, concerne la compétence du juge de l'exécution pour statuer sur une demande de dommages-intérêts fondée sur le défaut d'exécution d'un titre exécutoire.

La Cour d'appel avait décliné cette compétence au motif que l'astreinte ne constituait ni une mesure d'exécution forcée ni une mesure conservatoire, et que le préjudice allégué ne résultait pas de l'exécution d'une mesure d'exécution forcée mais de l'absence de signature de l'acte de vente.

Cette analyse révèle une compréhension restrictive et erronée des compétences du juge de l'exécution. La Cour de cassation rappelle fermement les principes gouvernant cette compétence spécialisée à travers un raisonnement en trois temps parfaitement articulé.

B. Le fondement textuel de la compétence

L'article L. 213-6, alinéa 6, du Code de l'organisation judiciaire dispose que « le juge de l'exécution exerce les compétences particulières qui lui sont dévolues par le code des procédures civiles d'exécution »1. L'article L. 121-3 de ce dernier code précise que « le juge de l'exécution a le pouvoir de condamner le débiteur à des dommages-intérêts en cas de résistance abusive ». Cette compétence, expressément reconnue par la jurisprudence antérieure, permet au juge de l'exécution de sanctionner les comportements dilatoires ou abusifs du débiteur.

C. Le caractère d'ordre public de cette compétence

La Cour de cassation insiste particulièrement sur le caractère impératif de cette compétence. L'article R. 121-1 du Code des procédures civiles d'exécution impose à tout juge autre que le juge de l'exécution de relever d'office son incompétence en matière de compétence d'attribution. Réciproquement, l'article R. 121-4 précise que les règles de compétence prévues par ce code sont d'ordre public.

Il en résulte, selon l'arrêt commenté, que « lorsqu'il est saisi d'une demande de dommages et intérêts formée à l'encontre du débiteur en raison du défaut d'exécution d'un titre exécutoire, le juge de l'exécution est tenu de trancher le litige en faisant application, le cas échéant d'office, des dispositions d'ordre public de l'article L. 121-3 du code des procédures civiles d'exécution ».

D. L'office du juge et la requalification d'office

Cette solution présente un intérêt pratique considérable. Elle impose au juge de l'exécution un devoir de requalification lorsqu'une demande de dommages-intérêts, même fondée formellement sur le droit commun de la responsabilité, procède substantiellement du défaut d'exécution d'un titre exécutoire. Cette obligation s'inscrit dans la logique de spécialisation du juge de l'exécution et garantit l'effectivité de sa compétence exclusive.

Comme l'observe la doctrine spécialisée, cette compétence du juge de l'exécution en matière de résistance abusive ne requiert pas nécessairement la mise en œuvre préalable d'une mesure d'exécution forcée. Elle vise plus largement la résistance abusive à l'exécution du titre exécutoire lui-même, ce qui englobe les situations d'inexécution pure et simple de l'obligation.

III. Les enseignements transversaux de l'arrêt

A. La cohérence du système des voies d'exécution

Cet arrêt illustre parfaitement la cohérence du système français des voies d'exécution, articulé autour de la figure centrale du juge de l'exécution. La spécialisation de cette juridiction, voulue par la loi du 9 juillet 1991, répond à un double objectif : garantir l'effectivité des décisions de justice tout en préservant l'équilibre entre les droits du créancier et ceux du débiteur.

La jurisprudence commentée démontre que cette spécialisation ne se limite pas aux aspects purement procéduraux de l'exécution, mais s'étend aux questions substantielles qui en découlent, notamment l'allocation de dommages-intérêts pour résistance abusive. Cette approche extensive de la compétence du juge de l'exécution contribue à l'efficacité du système en évitant la dispersion des contentieux.

B. L'importance de la technique juridique en droit de l'exécution

L'arrêt rappelle également l'importance de la maîtrise technique en droit de l'exécution. Les règles de prescription et de compétence, apparemment simples, recèlent de nombreuses subtilités que seule une connaissance approfondie permet d'appréhender. La tentation de transposer mécaniquement les règles du droit commun au droit spécialisé de l'exécution peut conduire à des erreurs d'analyse, comme en témoigne la position initiale de la Cour d'appel sur la compétence du juge de l'exécution.

C. Les perspectives d'évolution

Si la solution retenue par la Cour de cassation présente l'avantage de la clarté, elle n'épuise pas toutes les difficultés pratiques. La question du point de départ de la prescription de l'action en liquidation d'astreinte pourrait mériter une réflexion législative, notamment pour les astreintes assorties d'obligations à exécution différée. De même, la délimitation précise de la notion de « résistance abusive » au sens de l'article L. 121-3 du Code des procédures civiles d'exécution continuera sans doute à nourrir la jurisprudence.

Conclusion

L'arrêt du 22 mai 2025 constitue une contribution significative à la clarification du droit de l'exécution. En confirmant l'approche unitaire de la prescription de l'action en liquidation d'astreinte et en rappelant le caractère d'ordre public de la compétence du juge de l'exécution en matière de résistance abusive, la Cour de cassation renforce la cohérence et l'efficacité du système des voies d'exécution.

Pour les praticiens, cet arrêt constitue un rappel salutaire de l'importance de la spécialisation juridictionnelle en matière d'exécution et de la nécessité d'appréhender ce droit dans sa spécificité. Il confirme également que le juge de l'exécution dispose d'une compétence large et exclusive pour connaître de l'ensemble des questions liées à l'exécution des titres exécutoires, y compris lorsque celles-ci se présentent sous l'apparence de demandes de droit commun.

Cette décision s'inscrit parfaitement dans la lignée jurisprudentielle établie depuis la réforme de 1991 et contribue à l'édification d'un droit de l'exécution moderne, efficace et respectueux des droits des parties. Elle rappelle enfin que l'effectivité des décisions de justice, enjeu majeur de l'État de droit, passe par une maîtrise technique rigoureuse des mécanismes procéduraux et par une application scrupuleuse des règles de compétence.

Guillaume Fricker | Avocat

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